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Publié le 7 juillet 2011

Il naît encore des bébés trisomiques

septembre 2001 – revue Insieme
Texte: Patrice Neuenschwander, photos: Valérie Chételat

Aujourd’hui, des parents osent encore dire non aux tests prénataux de plus en plus pratiqués et à leur conséquence : l’interruption de grossesse. Leurs enfants nés différents ont un avenir. A condition de prendre très vite les bonnes options et de beaucoup les aimer.

Autrefois débiles et idiots du village. photo enfants insiemePuis, à cause de leurs yeux bridés, un médecin britannique, John Langdon Down, les apparente à la race du grand conquérant mongol Gengis Khân. En 1959, Jérôme Lejeune découvre que ces personnes ont quelque chose de plus que nous: un chromosome. Aujourd’hui, on ne parle plus de Mongoliens mais de porteurs du syndrome de Down ou, en français, de la trisomie 21. Ces enfants-rois si attachants incarnent l’image du handicap mental. De leur avenir dépend le sort de toute une catégorie défavorisée de la population. Mais quel est-il, cet avenir?

La trisomie 21 est de loin le handicap mental le plus fréquent. En 1999, plus d’un tiers des personnes dont insieme défend les intérêts étaient trisomiques. Et pourtant, les statistiques manquent cruellement à leur sujet. Il serait pourtant intéressant de savoir si les tests prénataux disponibles aujourd’hui entraîne une baisse des naissances de bébés trisomiques. Une telle baisse serait grave puisqu’elle conduirait à terme à un isolement toujours plus grand des personnes trisomiques et de leurs parents. Tel ne semble pas être le cas.

Barbara Jeltsch-Schudel, professeur à l’institut de pédagogie curative de l’Université de Fribourg, a mené l’enquête en Suisse alémanique. Elle a examiné la situation de plus de 1’000 personnes touchées par le syndrome de Down. Elle constate que le nombre de bébés nés avec une trisomie 21 a augmenté plus fortement de 1980 à 1994 que le nombre des naissances en général. Le pourcentage de bébés trisomiques semble croître malgré l’apparition, en 1989, du triple-test appliqué également à des femmes de moins de 35 ans avec, pour conséquence, une augmentation des avortements de foetus dont la trisomie avait été prédite par ce test prénatal. Durant ces 14 ans, le nombre de nouveaux-nés trisomiques de mère de plus de 35 ans a baissé tandis qu’il a augmenté chez les mères de moins de 35 ans. Rappelons que les couples font des enfants de plus en plus tard en Suisse et que le risque de trisomie croît avec l’âge.

Stabilité

Ces résultats ne permettent enfants insieme 3en aucune façon de conclure. Toutefois, l’incidence globale de la trisomie dans la population semble en hausse depuis 1988. Cette hausse aurait dû conduire à une augmentation des naissances d’enfants trisomiques si, parallèlement, la pratique des tests prénataux n’avait elle aussi augmenté, entraînant davantage d’interruption de grossesses.

Le professeur Etta Wilken, de l’institut de pédagogie curative de l’Université de Hanovre, a constaté ces dernières années une hausse du nombre de parents ayant mis au monde un enfant sachant qu’il naîtrait trisomique. En moyenne mondiale, plus de 80% des foetus porteurs de la trisomie 21 disparaissent suite à une interruption de grossesse. Ce pourcentage semble toutefois en recul. Le néonatologue et médecin chef de l’hôpital pédiatrique de Saint-Gall, Christian Kind, estime, dans la Weltwoche du 24 mai dernier, qu’il y a toujours plus de parents qui acceptent de mener une grossesse à terme malgré un diagnostic prénatal défavorable.

En définitive, il semble que le nombre de naissances d’enfants trisomiques soit assez stable depuis 1985. Cela pourrait s’expliquer par deux tendances contraires: la pratique en augmentation des tests prénataux d’une part, qui entraîne un recul des naissances de bébés trisomiques, et l’âge de plus en plus élevé des mères qui enfantent, avec le risque que cela suppose. Prudence toutefois! Nous ne pourrons vraiment conclure que lorsque nous disposerons de véritables statistiques.

Les enfants-rois du handicap mental ne semblent donc pas menacés d’extinction. Dès lors, comment sont-ils acceptés dans le monde d’aujourd’hui? Ici aussi deux tendances semblent s’opposer. Notre société fonctionne sur des valeurs – la beauté, l’efficacité, la productivité, la santé – qui ne parlent pas en faveur d’enfants trisomiques, plus lents dans leur développement. La technique médicale qui permet de déceler ce handicap avant la naissance – et d’éliminer ceux qui en sont porteurs – exerce une forte pression sur les parents qui doivent souvent se justifier à posteriori d’avoir mis au monde un enfant trisomique. On imaginera aussi aisément les pressions économiques qui ne doivent pas manquer d’influencer les conseils donnés par le corps médical aux parents. Car un enfant avec un handicap coûte cher… D’autre part, la tolérance vis-à-vis de ces enfants que l’on connaît de mieux en mieux paraît aller en augmentant. Plusieurs films – dont « Le huitième jour  » qui a valu à Pascal Duquesne le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1996 – ainsi que des émissions comme « ça se discute » sur France 2 ont beaucoup fait pour la cause des enfants trisomiques. Les personnes avec un syndrome de Down font du théâtre, donnent des concerts, apparaissent dans des magazines. Ils sortent des institutions, ils se montrent dans la rue. Certains enfants – encore trop rares – fréquentent les écoles publiques. Et, en les côtoyant, nous apprenons à ne plus en avoir peur.

La trisomie 21 n’est pas une maladie mais une différence… Rappelons quelques faits. L’accident chromosomique à l’origine du syndrome de Down se produit avant la conception, voire pendant ou tout de suite après. Ce n’est donc la faute de personne et aucune conduite erronée durant la grossesse ne saurait en être la cause. Cette anomalie génétique affecte une grossesse sur 700 environ. La trisomie 21 touche les facultés d’abstraction de la personne atteinte mais épargne l’intelligence concrète. La mémoire, le langage et l’activité psychomotrice sont diversement altérées. Toutefois, les enfants trisomiques sont capables de progrès énormes s’ils sont entourés de parents aimants, qui les stimulent très tôt et insistent sur leurs compétences plutôt que sur leurs manques.

Des parents témoignent

Pour qu’ils se développent bien, il est fondamental de prendre tout de suite les bons virages: logopédie et physiothérapie dès le plus jeune âge sont souvent nécessaires. L’intégration scolaire dès la crèche et le jardin d’enfants paraît elle aussi importante pour une évolution favorable des tout-petits. Mais, le plus important, c’est la relation que le bébé va nouer avec ses parents. Un enfant trisomique peut faire le bonheur d’une famille et lui réserver des surprises extraordinaires pour autant qu’il se sente accepté.

L’annonce du handicap revêt une grande importance pour cette acceptation. Or, le corps médical n’est pas toujours des plus adroits pour communiquer une telle nouvelle. Trois couples qui font partie de la toute jeune association ART 21 témoignent.

« Un trisomique ne bave pas, ne mord pas et ne fait pas pipi dans ses culottes », lance Sophie Mattenberger du Mont-sur-Lausanne. Cette maman a appris peu après la naissance que son fils Flavien, aujourd’hui âgé de 9 ans, était trisomique. Elle n’avait aucune idée de ce que cela pouvait signifier. Au fond du trou, elle se dit que ce n’est pas possible, que les médecins se trompent. Son premier sentiment est le rejet et elle n’a qu’une envie: rentrer à la maison. On lui souhaite alors bon courage… Puis rapidement le lien se fait. Elle apprivoise son bébé et lui dit: « Bon. Ce n’est pas comme cela que je t’espérais mais tu es là et nous allons faire un bout de chemin ensemble. » Elle et son mari se laissent du temps pour apprendre à découvrir ce petit être. Aujourd’hui, Sophie Mattenberger pense que cet enfant – un véritable rayon de soleil – a choisi sa famille. Elle remercie Celui qui le lui a envoyé!

Cette maman de deux enfants insiste sur la manière d’annoncer le diagnostic. Jamais par téléphone et toujours en présence des deux conjoints! « Ce n’est pas le genre de chose que l’on dit dans une salle d’accouchement à des parents en pleine extase », explique-t-elle. Il faut donner à la famille le temps d’apprivoiser le bébé et laisser passer quelques jours afin que le lien se fasse.

Permanence téléphonique

Mme Mattenberger est persuadée que les parents sont les vrais spécialistes de la trisomie 21 et que les médecins ne savent finalement pas grand chose à son propos. Elle pense que le corps médical n’est peut-être pas suffisamment formé – psychologiquement s’entend – pour parler du handicap. Elle tient à dire aux jeunes parents qu’ils ne sont pas tout seuls, qu’ils ont le droit de pleurer et qu’il est important de partager en couple ses émotions et difficultés. La permanence téléphonique d’ART 21 est à disposition de ceux qui veulent parler. Dans l’attente du résultat d’une amniocentèse par exemple.

Les Mattenberger ont senti pas mal d’exclusion autour d’eux suite à la naissance de Flavien même si celui-ci est maintenant parfaitement accepté dans leur entourage, leur quartier et à l’école. Ils sont convaincus que l’intégration scolaire – Flavien a fréquenté la garderie, la maternelle, l’école enfantine et est actuellement à l’école primaire – est une étape importante pour le développement des enfants trisomiques.

Serge et Gabrielle Wüthrich sont les parents de Noam, un charmant bambin trisomique de deux ans et demi. Quand Mme Wüthrich se rend chez son gynécologue en début de grossesse, celui-ci lui donne sans beaucoup d’explications un rendez-vous pour un prélèvement des villosités choriales. Les Wüthrich se renseignent et apprennent que cet examen invasif peut provoquer un avortement spontané. Ils considèrent que la trisomie 21 ne fait pas partie des handicaps lourds et que les enfants porteurs de cet accident génétique disposent d’un important potentiel de développement. Ils décident donc de garder leur enfant quel qu’il soit et annoncent au médecin qu’ils renoncent au test.

Mal à l’aise face à cette décision, le gynécologue dépeint alors à madame un tableau très sombre de la trisomie, pour tenter de la faire changer d’avis. Gabrielle Wüthrich se soumet tout de même au triple test sanguin. Elle apprend par téléphone que le risque de trisomie est élevé. D’autres signes indiqueront en cours de grossesse que le bébé sera probablement porteur du syndrome de Down.

Quand l’enfant naît à Vevey, Mme Wüthrich remarque en salle d’accouchement déjà qu’il est trisomique. Le gynécologue ne sait que dire… Il tourne comme un lion en cage et parle de série noire. Les Wüthrich ne comprennent pas ce malaise. Tout au long de la grossesse, ils ont essayé d’évoquer le problème mais personne n’est entré en matière. Il faudra plusieurs jours avant que la « forte présomption » se transforme en certitude sur la base d’un caryotype. Gabrielle Wüthrich a appris la nouvelle dans sa chambre de la bouche d’un pédiatre, en l’absence de son mari. A la maternité, cette famille a rencontré une équipe formée à la relation d’aide, qui était très soucieuse des réactions des parents. Le retour à la maison s’est bien passé. Quelques temps après, le pédiatre les a informés correctement de tous les problèmes inhérents à la trisomie. A sa demande, une enseignante spécialisée du Service éducatif itinérant (SEI) est venue tous les 15 jours stimuler l’enfant à domicile et ce à partir de deux mois. Les Wüthrich apprennent aussi qu’ils peuvent recourir aux services du BSPE (Besoins spéciaux de la petite enfance) de Pro Infirmis et d’une infirmière HMP. A six mois, Noam a commencé la physiothérapie, pour compenser une certaine hypotonie. Ce printemps, il s’est mis à la logopédie, pour tonifier la langue et les lèvres. Une orthophoniste-psychologue travaille avec lui sur la communication. Conscients que l’avenir de leur fils se joue maintenant, les Wüthrich ont d’ores et déjà pris contact avec un jardin d’enfants de Vevey prêt à accepter Noam.

« Mais pourquoi les médecins ne t’ont-ils pas prévenue », s’est entendue dire Gabrielle Wüthrich qui sent parfois peser des regards réprobateurs. Ces regards la révoltent plus qu’ils ne lui font honte. Les gens sont assez ambivalents face à la trisomie 21. Certains pensent qu’il est irresponsable de mettre au monde des enfants qui ne seront pas acceptés par la société et lui coûteront cher. « Ils ne se rendent pas compte des richesses que nous apportent nos enfants! »

Un bébé vraiment craquant

La famille Jenny de Montpreveyres (VD) accepte difficilement le malaise de certains après l’envoi du faire-part de naissance de Hugo. Ce bébé craquant qui va avoir un an est né au CHUV de parents infirmiers. Corinne et Laurent n’ont pas voulu des tests prénataux parce qu’ils refusaient d’interrompre la grossesse en cas de trisomie 21. La maman, 36 ans au moment de la naissance, ne regrette pas sa décision. « Un test positif m’aurait gâché toute ma grossesse », affirme-t-elle.

Après plusieurs mois pas toujours faciles, ce couple achevait lentement cet été le deuil de l’enfant imaginé. Quant la généticienne leur a confirmé quatre jours après l’accouchement que Hugo était bien trisomique, ce fut l’effondrement. Ils quittent la maternité anéantis. « Il pleuvait, c’était moche », se souvient Corinne. Pourtant ce couple se relève vite. Les parents qui ont déjà une petite fille de quatre ans en pleine santé, se disent : pourquoi pas nous ? « Nous avons eu de la chance jusqu’ici et il y a parfois des coups durs qu’il faut savoir accepter », explique Laurent.

Ce couple a l’impression que les professionnels de la maternité ont fait leur travail correctement. Les parents pouvaient appeler quand ils voulaient, pour un conseil ou une réponse. On leur a même proposé l’aide d’un psychologue, qu’ils ont refusée, s’accordant tout simplement le temps de digérer.

Une semaine après être sortis de la maternité, ils retournaient au CHUV chez la généticienne qui leur avait préparé un programme pour le suivi médical de l’enfant sur plusieurs années, avec contrôles réguliers de la fonction thyroïdienne, de la vue, du diabète et ORL. Cette spécialiste les aiguille sur l’Unité de développement du CHUV et leur donne l’adresse de l’AVPMH. Une sage-femme concernée par la trisomie vient aussi leur rendre visite.

Le bébé a été bien accueilli par l’entourage des Jenny. Certains leur demandent cependant pourquoi ils n’ont pas fait de test.

Ni révolte, ni regrets

Un enfant moins performant est riche d’un potentiel de remise en question de la société, estiment les parents de Hugo, certains que leur fils trouvera sa place et aura un rôle à jouer, notamment en apprenant aux autres la différence. Ils ne se révoltent pas et acceptent leur enfant tel qu’il est. Et surtout, ils n’ont pas de regrets. « Nous n’oserions plus croiser un trisomique si nous avions interrompu cette grossesse! »

Chacun endosse une responsabilité infinie vis-à-vis de tout être humain et reconnaît impérativement autrui comme sujet. Tel fut, après l’Holocauste, le principe éthique énoncé par le philosophe Emmanuel Levinas. Dans un excellent ouvrage qui vient de paraître (« Trisomie 21-Transmission et intégration: pour quelle éthique? » Ed. Chronique sociale, Lyon, 2000, ISBN 2-85008-390-9) Denis Vaginay, traite utilement des questions abordées ci-dessus.

Pas une maladie!

Insieme, la Fédération suisse des associations de parents de personne avec un handicap mental est à même – comme toutes les associations régionales qui en font partie – de conseiller utilement les parents d’enfants trisomiques. Le secrétariat central d’insieme à Bienne offre son aide pour tout ce qui concerne les assurances sociales, les questions juridiques, la formation et la communication. Insieme défend également les intérêts des personnes avec un handicap mental sur le plan fédéral, organise des rencontres réunissant professionnels et parents, édite la présente revue et sort actuellement un ouvrage consacré à l’intégration scolaire des enfants avec un handicap.

L’Association romande trisomie 21 (ART 21) s’efforce elle aussi de regrouper, soutenir et informer les parents ainsi que de sensibiliser la population et les professionnels. ART 21, c’est un accueil, un soutien pour les parents, des conférences, des réunions, des débats informels, des rencontres sociales et culturelles, des sorties familiales, des campagnes médiatiques, la promotion de l’intégration sociale et un centre de documentation et de renseignements. C’est aussi une permanence téléphonique.


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