Publié le 17 juin 2011
Trisomie 21: Choisir la vie?
octobre/novembre 2003 Psychanalyse Magazine – Philippe Hotchamps – Président de SOS Trisomie 21
Voici onze ans déjà, un évènement important dans notre vie allait survenir : nous devenions les parents d’une petite fille peu ordinaire, une petite fille atteinte de trisomie 21, Virginie. Jour après jour, année après année, nous avons découvert cet enfant qu’on prétend différent, cet enfant que jadis on appelait mongolien.
Nous ne cessons d’être étonnés par sa gentillesse, son attention, sa bonne humeur et tous les progrès qu’elle fait avec tant de fierté. Bien sûr, elle est plus lente dans son développement, elle avance à son propre rythme mais on finit par s’y habituer. N’est-ce pas nous qui souvent sommes trop pressés ? En vivant avec elle, en observant et côtoyant d’autres personnes atteintes de trisomie 21, nous sommes arrivés à un constat, une simple évidence : notre petite fille, notre petite trisomique, les personnes trisomiques, sont des êtres humains, aussi humains que vous et moi. Des êtres humains à part entière, comme on l’entend souvent dire dans de nombreux colloques et conférences. Étonnamment, cette humanité singulière, beaucoup semblent vouloir la nier ou ne pas la reconnaître. En effet, au cours de ces onze années écoulées, nous avons constaté que beaucoup d’efforts, d’articles et d’argent étaient dépensés et consacrés au dépistage de la trisomie, pour tenter de repérer les enfants qui risquent de naître comme notre enfant, qui risquent de lui ressembler. Dépister dans quel but ? Nous avons aussi constaté que les efforts, tant financiers que scientifiques, consacrés à la recherche dans le traitement de la trisomie 21, sont faibles, pour ne pas dire quasi-inexistants. Pourtant, la trisomie 21 est l’affection génétique la plus fréquente et la cause la plus fréquente de handicap mental. Elle peut toucher tout le monde, quel que soit l’âge, la profession, la condition sociale… Un jour vous aussi risquez d’être confronté familialement à la trisomie 21… Nous sommes donc tous concernés.
Pourquoi ce désintérêt pour cette affection génétique?
Plusieurs raisons peuvent être trouvées. D’abord, chacun peut se dire, comme pour toute maladie, ça n’arrive qu’aux autres. Pourtant, le risque moyen est d’une naissance sur 800. C’est beaucoup, bien plus par exemple que le risque pour la mucoviscidose (1 naissance sur 3000). Ensuite, on l’a tellement souvent dit que cela en devient presque une vérité, c’est que pour la trisomie, on ne peut rien y faire ! Pourquoi aussi chercher un traitement, qui ne sera peut-être jamais parfait, alors qu’il est permis de supprimer un trisomique dépisté par un acte appelé avortement thérapeutique. Il faut bien admettre aussi que les personnes trisomiques, de par leur handicap, ont bien du mal à réclamer une telle recherche, à faire entendre leurs souhaits, à faire entendre leur souffrance. Devant ces différents constats, quelques membres de notre famille ont décidé, voici un an, de fonder une association, dénommée SOS Trisomie 21, dont objectif principal est de promouvoir et de soutenir la recherche de traitement de la trisomie 21, dans le respect de l’être humain dès la conception. Depuis, nous avons été rejoints par quelques familles qui partagent nos convictions. Nous marquons ouvertement notre désaccord avec la politique actuelle qui vise à éradiquer la trisomie 21 en supprimant les trisomiques dépistés parce que ne rien dire, ne rien faire, c’est être implicitement d’accord avec ce qui se dit ou ce qui se fait. Bien sûr, les trisomiques supprimés sont encore bien petits, à peine quelques mois dans le ventre de leur mère mais, pour nous, ils sont déjà des êtres humains, l’humanité commençant au premier jour de l’existence, dès la conception et non après trois ou quatre mois de grossesse ou à la naissance, ou encore, pour reprendre une expression très à la mode, lorsqu’il existe un projet parental, comme si c’était le projet qui détermine la nature d’un être. Si leur handicap mental ne les en empêchait, soyons assurés qu’ils seraient nombreux à se révolter face à cet abandon thérapeutique et à réclamer que des budgets soient attribués à la recherche. Soyons aussi assurés qu’ils réagiraient face à l’insulte qui leur est faite en usant de termes comme dépistage, pour identifier, reconnaître, désigner ceux qui sont comme eux, non pas pour les soigner, les accueillir mais pour les supprimer, les empêcher (de vivre, de naître, par une pratique et un terme encore plus scandaleux : avortement médical, encore appelé avortement thérapeutique, acte remboursé. En quoi ce geste soigne-t-il la mère ou l’enfant à naître ? La vie de la mère ou de l’enfant est-elle en péril à la suite de la trisomie 21 ? A celui qui me dit qu’avant, les mongoliens, on les cachait, en sous-entendant que notre société fait beaucoup pour l’accueil de la personne trisomique, je ne peux m’empêcher de lui répondre cette scandaleuse vérité : c’est vrai, avant, on les cachait, niais maintenant, on les supprime proprement, chirurgicalement. Quelle belle évolution dans l’acceptation de la différence !
Je me rappelle aussi d’un ami, ou plutôt d’un ancien ami, qui m’a dit ces paroles, lorsque je lui ai annoncé la naissance de ma fille : « Pourquoi ne l’a t-on pas mise sur le marbre ? », le marbre étant un matériau froid qui devait entraîner la mort ! Cette phrase est dans une logique, une philosophie de mort, une négation de la valeur de la vie humaine : pourquoi laisser vivre un enfant qui a échappé au dépistage, si la société le condamne, si ses parents n’en veulent pas ?
Cet objectif, guérir trisomie 21, est-il un rêve, une illusion ? Nous ne le pensons pas. Il est même le but principal de la fondation Jérôme Lejeune, fondation française reconnue d’utilité publique en 1996 et qui, depuis sa création, poursuit l’oeuvre du Professeur Jérôme Lejeune, généticien français qui découvrit en juillet 1958 la cause de la trisomie 21. Jérôme Lejeune déclarait : « Si on avait mis autant d’énergie pour guérir la trisomie 21 que pour aller sur la lune, il y a longtemps que l’on y serait parvenu. » Nous sommes convaincus que c’est possible. Mais il faut y mettre des moyens, une réelle volonté politique. Le Professeur Antonarakis, directeur de recherche internationale sur ce chromosome et dont le laboratoire a participé à la collaboration internationale qui a réalisé le séquençage, a déclaré : « L’identification des gènes responsables de la maladie doit servir de point de départ aux chercheurs dans le développement de nouveaux traitements et pas seulement dans le cadre de la thérapie génique mais également dans la mise au point de médicaments standards. » Interview du Professeur Stylianos Antonarakis sur le séquençage du chromosome 21.
Actuellement, une quinzaine d’équipes scientifiques travaillent dans le monde sur la trisomie 21. A notre connaissance, aucune en Belgique. A notre connaissance, aucun budget n’est attribué spécifiquement à la recherche. Est-ce normal, peut-on l’accepter sans rien dire, sans rien faire Vouloir soutenir la recherche, la réclamer, espérer traiter la trisomie 21, n’est donc pas une utopie, comme on l’entend parfois dire. Si le chemin vers un traitement est encore long, il est temps de se mettre en route. Parce qu’une société qui se dit civilisée ne peut se contenter de supprimer une maladie en supprimant les malades. Supprimer les trisomiques, par avortement thérapeutique, soulève des problèmes éthiques inacceptables, tout en ouvrant la porte à des dérives dangereuses. Parce qu’il naîtra toujours des enfants atteints de trisomie 21, par erreur de dépistage, parce que des femmes n’ont pas accès au dépistage, parce que des parents choisiront de garder cet enfant, malgré le dépistage.
Mais quel choix difficile…
En effet, lorsque des parents peuvent lire dans un quotidien que « la trisomie 21 est un fléau, une maladie extrêmement invalidante et incurable et que la seule parade, c’est d’éviter la naissance de ces enfants », comment avoir le courage de faire un choix autre que celui de l’avortement ? Comment avoir la force ou la volonté de dire oui à cette vie, d’accueillir cet enfant différent, en osant aller à contre-courant d’une société qui parle « d’égoïsme parental » pour ceux qui ont choisi d’accueillir un enfant handicapé, malgré le dépistage prénatal ? Et quand vous savez les difficultés et les obstacles que vous rencontrerez toute votre vie, pour trouver une école, un logement, un emploi et l’après parents ! Il faut que les futurs parents puissent réellement choisir, en étant convaincus qu’ils ne seront pas abandonnés par un système social, par la société, qui semble aujourd’hui vouloir bannir toute forme de handicap. Si tout parent souhaite avoir un enfant en bonne santé, tous les moyens sont-ils bons pour y arriver ? On parle du droit des parents d’avoir un enfant zéro-défaut, un enfant parfait. Et qu’en est-il du droit des enfants d’avoir des parents parfaits ? Certains n’ont ainsi pas la force d’accueillir cet enfant et il ne nous appartient pas de juger ou de culpabiliser qui que ce soit mais, par respect pour cet enfant différent qui est là, par respect pour celui qui naîtra demain, il nous appartient de défendre la valeur de sa vie, son droit à la vie, son droit à une meilleure vie, une meilleure autonomie. Il nous appartient de donner une réponse à la question suivante : est-ce vrai que les enfants comme nous, on les supprime dans le ventre des mamans, pour qu’ils ne naissent pas ‘? Oui, c’est vrai, mais beaucoup ne sont pas d’accord. Ceux qui font cela ne savent peut-être pas ce qu’ils font, ne réalisent pas ce qu’ils perdent. Il ne faut pas leur en vouloir. Heureusement que la personne trisomique, de par son handicap, a une conscience atténuée (…) !
Que faut-il faire ?
Le dépistage en soi est une bonne chose. Il est important, utile, dans le sens où une pathologie décelée précocement peut permettre d’instaurer un traitement qui sera plus efficace, qui évitera des complications, une aggravation. Il faut que, parallèlement à la recherche sur l’amélioration (les tests de dépistage), se mette en place un programme de recherche sur le traitement de la trisomie 21. L’un ne doit pas aller sans l’autre… L’un n’a pas de sens sans l’autre. II faut organiser des actions, des récoltes de fond au profit de la recherche sur la trisomie 21. Il faut redonner une image positive de la personne handicapée. Voyez-vous souvent un enfant handicapé, quelle que soit la nature de son handicap, dans des spots publicitaires ? A croire qu’ils n’existent pas, qu’on ne veut pas les voir. Il est nécessaire d’apprendre à accepter le handicap et non d’apprendre à l’exclure. Chercher à guérir la trisomie 21, ce n’est pas la refuser; accepter nos enfants tels qu’ils sont, ce n’est pas renier la joie, le bonheur qu’ils donnent et peuvent recevoir, ce n’est pas nier leur richesse, le petit quelque chose en plus qu’ils ont et qui pousse à se battre pour eux. Si l’on cherche à les guérir (…), c’est parce que nous les aimons profondément avec leurs qualités et leurs défauts. Parce que nous les aimons, nous souhaitons ce qu’il y a de mieux pour eux. Malheureusement, leur handicap mental les empêche d’être pleinement eux-mêmes, les empêche de faire comme tout le monde, comme les autres, les empêche d’avoir une autonomie que tout être humain est en droit de réclamer et d’obtenir. Arrêtons surtout les discours qui disent que pour la trisomie 21, on ne peut rien faire. Et surtout, rappelons-nous que le dépistage ne dépiste pas la trisomie, comme on dépiste la tuberculose, le sida, le cancer… Le dépistage de la trisomie 21 dépiste… un être humain, unique, atteint de trisomie 21. La différence est fondamentale.
« Revenir à la liste des articles