Publié le 22 septembre 2011
Un pas de plus vers une sexualité mieux vécue
18 mars 2001 – 24 Heures – Joëlle Fabre
Cheminer du coeur au corps
La vie intime des personnes handicapées mentales n’est plus occultée, mais comment les accompagner? Deux programmes de formation désamorcent les craintes de l’entourage.
Une éducatrice spécialisée emmène un homme de 35 ans, handicapé profond et ne parlant pas, dans un grand magasin. But de l’escapade: lui permettre de choisir un nouveau poster pour décorer sa chambre. Elle le laisse re garder et revient vers lui: « Qu’as-tu choisi? ». Le jeune homme montre du doigt la photo d’un dos féminin dénudé avec une rose posée sur l’épaule. Rien à voir avec les pages du calendrier Pirelli. Cependant, l’éducatrice est mal à l’aise: ce poster vaguement suggestif allait-il mécontenter la direction de l’institution? Choquer les parents? Exciter les autres résidants? Elle rectifie: » Il vaut mieux choisir dans cette série. » Docile, l’homme opte alors pour une très convenable « forêt en automne ».
« Ce n’est qu’une anecdote mais elle illustre l’importance du rôle du tiers dans l’intimité des personnes handicapées mentales, commente Catherine Agthe, sexopédagogue. Cela montre à quel point leur sexualité est kidnappée par l’entourage qui a tendance à imposer sa vision, ses valeurs. » La vie affective des personnes déficientes mentales n’est plus occultée, mais elle continue manifestement de susciter gêne, crainte, perplexité, maladresses et conflits éthiques. Peut-être parce qu’il s’agit d’une découverte relativement récente: jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, on les pensait sans désir, sans compréhension ni sentiment pour tout ce qui touche à la sexualité ou alors, à l’opposé, animées par des pulsions incontrôlées, sans morale, sans censure. « Ange ou bête, résume Catherine Agthe. Dans le premier cas on niait leur sexualité, dans le deuxième cas, on la réprimait. »
Désirs d’adultes
Cela fait quinze ans que Catherine Agthe et Françoise Vatré, toutes deux membres du groupe « Sexualité et handicap(s) » au sein d’ARTANES (Association romande et tessinoise des animateurs en éducation sexuelle), se démènent sur le terrain et dans les congrès pour faire admettre que le développement affectif et sexuel de la plupart des personnes handicapées mentales est aussi important que pour les valides et pour faire valoir leurs droits à l’intimité. « Après avoir appris à respecter la différence, la société doit arriver à gérer la similitude », commente Françoise Vatré. « Et ce n’est pas évident! On peut comprendre, par exemple, la peur des parents de voir leur enfant handicapé développer des goûts et des désirs d’adulte. Le décalage entre le biologique et l’âge mental provoque des situations contre nature qui se heurtent au tabou monumental de l’inceste: avez-vous déjà lavé le sexe d’un « petit enfant » de 45 ans? » Reconnaître le droit à la sexualité et à la vie affective est une chose, mais dans le quotidien des familles comme des institutions, il n’est pas simple ni d’en parler ni d’y être confronté. D’où la nécessité d’une formation bien ciblée. De la parole aux actes, les deux sexopédagogues viennent de franchir une nouvelle étape avec la mise au point d’un programme destiné à la formation des professionnels de l’éducation spécialisée et de la santé aussi bien qu’à celle des parents. Intitulé Du coeur au corps, ce programme veut leur donner des outils pour mieux informer et accompagner les handicapés mentaux dans le domaine de la vie intime. Pour cela, il est indispensable de se mettre au clair par rapport à son propre vécu de la sexualité: identifier ses réactions, relativiser ses craintes et ses préjugés, devenir conscient de son rôle de tiers, etc. L’approche tient compte des aspects fondamentaux de la sexualité humaine: biologique, affectif, cognitif, comportemental et normatif. La formation s’étale sur trois jours et se déroule dans un climat d’interactivité mêlant la théorie et la pratique.
Valisette belge
Autre outil désormais à la disposition des « accompagnants »: une mallette pédagogique conçue en collaboration avec une équipe belge de l’Université de Namur et comprenant un manuel d’animation, un dossier d’images et un vidéogramme. Titré Des femmes et des hommes, ce cours d’éducation sexuelle spécialisée chemine également du coeur au corps en prenant largement en compte tous les aspects de la vie affective des personnes déficientes mentales.
Informations: Catherine Agthe Diserens au tél.: (022) 36115 29. Ou Françoise Vatré: (021) 807 43 26.
Florian en son jardin secret
A 22 ans, Florian a les désirs d’un jeune adulte. II aimerait rencontrer une femme, l’embrasser. Si possible une créature dans le genre de Sarah Michelle Gellar, alias Buffy, qui occupe la place d’honneur sur le mur de sa chambre. « Déjà tout petit, il se retournait sur de belles blondes », sourit sa maman. Florian a grandi et ses rêves avec lui, qu’il a bien fallu frotter à la réalité. « Moi, je n’ai personne, regrette-t-il. Plus tard peut-être, j’espère. » En attendant, il songe parfois à Telma, une fiancée imaginaire. Peut-on vivre sans être amoureux? « Ça va », répond-il sans conviction. Florian a conscience d’être handicapé: « Un tout petit peu », chuchote-t-il. II faut admettre que sa vie n’a rien d' »anormal »: il travaille, il est relativement autonome et il n’est pas le seul homme de 22 ans à vivre encore chez ses parents.
De cela et de beaucoup d’autres choses touchant à sa vie affective, intime et sociale, Florian a parlé longuement avec Catherine Aghte, sexopédagogue, dans le cadre de séances d’éducation sexuelle spécialisée. A travers des jeux de rôle, il a appris par exemple à mieux interpréter les comportements des autres: si une fille me sourit, si elle accepte de danser avec moi, cela signifie-t-il qu’elle est amoureuse? Quels mots puis-je utiliser, quels gestes faire sans susciter le rejet ou la peur? Très ouverts, les parents de Florian ont toujours répondu à ses questions. C’est son père, à la puberté, qui lui a expliqué ce qui se passait dans son corps. Mais peu à peu, le besoin s’est fait sentir d’une assistance extérieure. Sans doute parce qu’il n’est ni naturel ni facile d’être invité, jour après jour, dans le jardin secret de son enfant devenu un homme.