Publié le 8 juillet 2011
Trisomie – Des enfants comme les autres
15 novembre 2007 – le Figaro – Clarisse Josselin.
Un bébé sur 1’250 naît chaque année en France avec une trisomie 21. Malgré les avancées législatives, l’intégration de ces enfants en milieu ordinaire se fait toujours au cas par cas, grâce à la volonté des parents et à l’amélioration du suivi par le corps médical.
«Il faut se battre en permanence mais, si nous ne le faisons pas, qui le fera ? Il y a encore trop de parents qui baissent les bras et n’imaginent pas que leur enfant puisse apprendre à lire, écrire et compter», déplore Shigeyo. Après un long combat, elle a trouvé pour sa fille Elisa, âgée de 14 ans, une place au collège, dans une classe adaptée. La nature lui a donné trois chromosomes 21 au lieu de deux. Cet accident génétique fait d’elle un enfant porteur de la trisomie 21. Jusque dans les années 70, la jeune fille aurait été considérée comme inéducable en raison de son retard mental. Sa seule perspective aurait alors été une vie en hôpital psychiatrique avec une surveillance constante, des courriers contrôlés, une promenade de temps en temps… et peu de promesses de développement individuel et de bien-être. Heureusement pour elle, les mentalités et la législation ont évolué. Elisa peut aller à l’école, sortir le soir avec ses copines du club de danse de son quartier parisien, passer ses vacances de février à dévaler les pistes de ski.
«Grâce au soutien scolaire, Elisa a pu rester dans le système classique. Si on nous en donne la possibilité, elle sera tout à fait capable d’aller au lycée. Avec un bon accompagnement, elle pourra vivre seule et travailler en milieu ordinaire», assure Shigeyo.
Et elle ne rêve pas. En raison de leur malformation génétique, ces enfants souffrent généralement d’une déficience intellectuelle, d’un retard dans le développement psychomoteur et d’une diminution du tonus musculaire dont découlent beaucoup de symptômes.
Mais, stimulées et intégrées dans la société ordinaire depuis leur plus jeune âge, les personnes porteuses de la trisomie 21 (une naissance sur 1 250 aujourd’hui) peuvent désormais gagner leur vie et mener une existence pratiquement indépendante. Leur espérance de vie, elle, augmente de 19 mois par an. En quinze ans, elle est passée de 25 à 49 ans. «Grâce à une prise en charge médicale précoce et assez intensive, ces enfants peuvent devenir autonomes», confirme le Pr Lacombe, chef de service de la consultation trisomie 21, créée en janvier 2006 au CHU de Bordeaux. Cette consultation, affiliée au service génétique, propose une prise en charge globale des enfants afin d’évaluer leurs besoins : orthophoniste, psychologue, dentiste, médecin… «La prise de conscience remonte à seulement dix ou quinze ans. Avant, il semblait par exemple aberrant de leur proposer des séances d’orthophonie avant qu’ils ne parlent. Nous espérons que le maximum d’entre eux pourront être intégrés aussi bien socialement que professionnellement», poursuit le médecin.
C’est grâce à l’énergie incroyable de parents refusant la fatalité que ces avancées ont été rendues possibles. Ils n’ont qu’un seul credo, l’intégration des enfants porteurs de la trisomie 21 dans la société, et notamment à l’école «de tous». Un lieu facteur de socialisation, mais aussi d’apprentissage. «Pour les parents, la trisomie n’est pas vécue comme une maladie. Il n’y a pas de traitement, pas tant de soins que ça. Il faut intégrer les enfants, être le plus ordinaire possible. Nous savons que ces enfants ne feront pas d’études normales, mais nous voulons avoir le choix le plus longtemps possible entre une scolarisation classique ou spécialisée», insiste Xavier, le papa de Marianne, 3 ans. Professeur de sciences politiques et militant, il a fondé en 2004 l’antenne parisienne de l’association Trisomie 21, nouvelle appellation du Geist 21, le Groupement d’études pour l’intégration sociale des personnes porteuses de trisomie 21. La fédération Trisomie 21-France, anciennement Fait 21, a entamé cette démarche il y a trente ans et fait figure de pilier.
Une école ordinaire
C’est seulement depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que l’école, le collège et le lycée sont accessibles de plein droit à tous les jeunes en situation de handicap. Leur inscription scolaire en milieu ordinaire est désormais rendue obligatoire. Les enfants sont relativement bien accueillis en école maternelle, surtout s’ils bénéficient de l’accompagnement d’une assistante de vie scolaire. En école élémentaire, ils rejoignent le plus souvent une classe d’intégration scolaire (Clis) animée par un enseignant spécialisé. Ils y bénéficient d’un programme individualisé adapté, mais peuvent à certains moments participer aux activités des classes normales. Le parcours se complique au collège et au lycée, où les classes intégrées, appelées unités pédagogiques d’intégration (UPI), sont plus rares. Faute de place, ces élèves se retrouvent encore trop souvent orientés en institut médico-éducatif (IME), et n’ont alors plus que très peu de contacts avec le milieu ordinaire.
«Malgré la loi, l’intégration à l’école dépend encore beaucoup des académies et des circonscriptions, où certaines personnes partagent plus ou moins ces valeurs. Et les enseignants ne sont pas toujours assez formés sur les besoins spécifiques de ces enfants», reconnaît Bernadette Céleste, maître de conférence en psychologie du comportement à l’université Paris-X et auteur de l’ouvrage Le Jeune Enfant porteur de trisomie 21. Selon elle, l’intégration ne doit pas se limiter à l’école mais s’étendre à tous les lieux d’apprentissage social : le club de sport, l’école de musique, le centre de loisirs… «à condition que les adultes aident les enfants à communiquer entre eux et leur montrent qu’il est possible de faire des choses ensemble».
Mais, pour Bernadette Céleste, pas question non plus de faire de l’intégration forcée. «Vers l’âge de 6 ans, les enfants commencent à construire leurs repères. Ils doivent donc bénéficier à la fois de relations avec des enfants comme eux et des enfants ordinaires. Il leur faut sortir du cocon social offert par le milieu ordinaire, où tout le monde est généralement très gentil avec eux, car la vie ne leur fera pas de cadeaux.»
Intégrer par le jeu
La mixité, c’est le pari d’Eric, le papa d’Eva et de Pauline, deux jumelles âgées de 8 ans. Si, en découvrant ses filles à la maternité, il s’est demandé «si on ne s’était peut-être pas trompé de bébés», il a décidé de se battre à leurs côtés et refusé de les voir toujours mises un peu à l’écart.
Alors, en mars 2005, il a fondé une antenne du centre de loisirs pluriels dans le XIXe arrondissement de Paris. Le mercredi et durant les vacances, ses filles et d’autres enfants porteurs de handicap y font les 400 coups avec des enfants valides. «J’étais fatigué de me battre en permanence pour faire valoir les droits de mes filles. La vie, c’est aussi du plaisir. Chez nous, on joue. Et je pense que c’est le meilleur moyen de convaincre les gens des capacités de tous ces enfants», se félicite-t-il. Et ça marche ! Pour intégrer la structure associative, qui ne compte qu’une cinquantaine de places, la liste d’attente est longue, autant pour les enfants porteurs de handicap que pour les autres enfants. «Les enfants valides représentent la société de demain. Si, devenus adultes, ils font avancer un dossier ou donnent la priorité à une personne handicapée, ils n’auront pas fait que jouer, j’aurai oeuvré à une meilleure connaissance mutuelle», ajoute Eric.
Mais les préjugés ont la vie dure, et le regard des autres reste parfois douloureux. «Mon petit garçon s’est fait des copains à l’école, qu’il a déjà invités à la maison. Lui, par contre, n’est jamais invité aux goûters d’anniversaire de ses copains. Les parents ne doivent pas oser», lâche pudiquement la maman de Jordan, 5 ans et demi.