Début du contenu

Publié le 29 septembre 2011

Vers de nouvelles formes d’engagement social unissant familles, praticiens et chercheurs.

mars 2010 – Journal des 10 ans d’ART 21 Viviane Guerdan
Professeure formatrice, responsable de l’Unité Enseignement et Recherche (UER) Pédagogie spécialisée, Haute école pédagogique Lausanne
.
Présidente de ASA-Handicap mental et ex-présidente de l’AIRHM.

L’histoire d’une collaboration réussie

L’éducation, la formation, les soins, autant d’objets de préoccupation conjointe des familles et des professionnels. La recherche d’information, le besoin de formation, l’intérêt porté aux résultats des recherches sont souvent rencontrés chez les uns et les autres. Par delà cette réalité, une demande de partenariat entre parents et professionnels est manifestée par les personnes et reconnue par le monde scientifique comme étant un incontournable du champ social.

Cependant, trop rarement ces univers du savoir, de la formation, de la recherche donnent lieu à un partage dans lequel familles comme professionnels s’uniraient en un processus de découverte et d’élaboration commune. Une question dès lors se pose : est-il envisageable, est-il souhaitable de concevoir de nouvelles formes d’engagement social ? Celles où familles et professionnels, ensemble, construiraient ce qui permettrait aux personnes handicapées mentales d’avancer sur le chemin de leur épanouissement et de leur participation à la société.

Dans ce texte nous nous proposons d’esquisser une réponse, issue d’une longue histoire de collaboration avec ART 21, et visant à mettre en évidence les bénéfices que des organismes de formation et des instituts ou associations de recherche peuvent retirer d’un partenariat avec les familles.

1. La participation des familles à la formation des professionnels

La collaboration des professionnels avec les familles est devenue un incontournable dans le champ de l’action sociale et médico-sociale. La littérature multiplie les écrits mentionnant l’importance de ce « travail en commun », soutenu par les pouvoirs politiques. Depuis quelques années, un pas de plus est franchi : l’on prône le « partenariat » (2). Un nouveau type de relation est dès lors à instaurer, une relation qui est exigeante : elle requiert le respect d’un certain nombre de règles parmi lesquelles une reconnaissance réciproque des compétences et des ressources de chacun, l’établissement d’un rapport d’égalité dans la prise de décision, la recherche d’un consensus. L’enjeu est de taille: il impose l’apprentissage d’un nouveau rôle professionnel, celui de « partenaire». Un tel rôle ne s’improvise pas. Il se construit. Les compétences auxquelles il renvoie ne se décrètent pas, elles se conquièrent. La formation est dès lors investie d’une mission d’envergure, jonchée de défis à relever, dont celui de faire découvrir que les parents ont des compétences, que leur participation est une valeur ajoutée pour l’élaboration d’un projet pédagoéducatif, qu’ils ont souvent le désir de jouer un rôle actif et demandent à être soutenus dans leur fonction parentale. Ces défis, nous les abordons, à la Haute Ecole Pédagogique de Lausanne, dans le cadre de la formation de base des enseignants spécialisés (3) et de la formation continue (4). A cette formation les parents, membres de ART 21, prêtent leurs concours depuis 2004 en intervenant à certains moments dans les cours.

Pourquoi avoir fait appel aux parents ? Ainsi que le suggère Danielle Zay (1994) (5), la formation au partenariat passe par la nécessité de « faire vivre des formations communes sur le mode du partenariat comme confrontation des différences »; une confrontation qui est « source de complémentarité des apports, de construction des identités respectives et de mise en mouvement des dynamiques d’apprentissage ». Pour avoir fait ses preuves en plusieurs occasions, cette stratégie nous a entraînés à mettre en place un dispositif de formation permettant aux divers professionnels du champ de l’action sociale et médico-sociale de se former en incluant les parents dans le processus : professionnels et parents apprennent ainsi à se connaître et à construire en partenariat le partenariat lui-même.

Notre expérience de formatrice nous a permis de mesurer toute la richesse d’une confrontation des représentations des professionnels (« quelles sont mes attentes face au partenariat ? », « quels bénéfices j’en escompte ? », « quelles sont mes craintes et peurs ?») avec celles de parents présents à la session de formation et auxquels les mêmes questions sont posées. Les professionnels peuvent alors découvrir que ce qu’ils souhaitent ou appréhendent a tendance à se retrouver chez la plupart des parents: un même besoin d’échanges d’informations, de reconnaissance des compétences, de relation basée sur la confiance ; les mêmes peurs et craintes du regard et du jugement de l’autre. Un pas peut alors être franchi: derrière l’image de « parents » il y a la prise de conscience qu’existent des êtres humains tout semblables à soi et dont le témoignage contribue à faire tomber les barrières de l’incompréhension mutuelle.

Plus haut nous parlions de l’importance de construire en partenariat le partenariat lui-même. En effet, des études ont démontré que celui-ci s’acquiert par le « faire avec » : on apprend la démarche partenariale en participant à une action commune, en étant mis en situation d’entamer ensemble un travail sur un objet défini ensemble. Les centres de formation ont tout intérêt à organiser des formations regroupant professionnels et parents pour travailler de concert sur un même objet au cours de séquences communes. C’est le pari tenu par ASA-Handicap mental (6) dont le projet de formation continue (voir note No3) s’enrichit d’une démarche d’action commune et coordonnée : la création, durant l’année 2010, d’un FAQ sur le thème du partenariat pour le site de ASA-Handicap Mental.

 2. La participation des familles à la création d’activités d’échanges entre professionnels

L’implication des familles peut se décliner sous d’autres formes, elles aussi sources de bénéfices importants pour les professionnels. Parmi ces formes, la construction de projets communs en une démarche partenariale. Cette collaboration est possible. Il y a quatre ans, ASA-Handicap mental décide de créer un projet innovant en demandant à des parents de participer à son élaboration ; certains sont membres de ART 21. Suite à un travail approfondi, où ont foisonné les idées, naissent en 2007 les « Rencontres professionnels – parents – personnes avec un handicap mental » (7), d’abord sous forme d’une journée d’études portant sur un thème choisi en partenariat (8), ensuite sous forme de rencontres ponctuelles au sein de divers cantons de Suisse romande,  clôturées par une demie journée de réflexion ( 9). La part prise par les parents tant à la conception du projet qu’à sa mise en oeuvre a été une garantie de réussite de l’entreprise. Les ateliers de la journée de 2007, dont plusieurs ont été élaborés par eux et co-animés avec des professionnels ou des personnes avec un handicap mental (10), ont remporté un vif succès. Pour nous, la preuve était faite : en accordant une place aux parents pour partager avec eux les décisions, les tâches, les responsabilités, le savoir et le pouvoir, une association peut devenir plus créative !

 3. La participation des familles à la recherche

Le monde des chercheurs, le monde des personnes en situation de handicap et leur famille : deux mondes bien distincts, que rien a priori ne semblerait rapprocher. Et pourtant ! Un mouvement se dessine actuellement pour promouvoir un modèle de recherche participative où chacun aurait un rôle de complémentarité à jouer. Le chercheur apporterait ses interrogations scientifiques et ses savoirs méthodologiques, les familles apporteraient leurs questions issues du quotidien et leurs savoirs d’expérience. Or, cette implication des principaux intéressés dans le processus n’est pas toujours évidente : il appartient aux chercheurs de clarifier la place qu’ils entendent donner aux parents. Sont-ils prêts à ce que les parents participent à l’élaboration des questions de recherche ainsi qu’à la conception et la mise en oeuvre de celle-ci ?

L’association internationale de recherche scientifique en faveur des personnes handicapées mentales (AIRHM) (11), dont nous avons été présidente, tente cette ouverture. Dans ses statuts, il est dit que la qualité de membre actif est accordée à toute personne faisant preuve d’implication personnelle dans un processus de recherche scientifique (art.6). A ce titre, une place peut être faite aux familles si tant est qu’on s’entende sur les déclinaisons possibles de l’implication. S’impliquer, ce serait :

  • participer à une recherche, être associé au processus de recherche
  • diffuser les résultats des recherches : par des publications, conférences, formations
  • promouvoir la recherche : susciter des partenariats, identifier des besoins, intérêts, questions de recherche
  • utiliser les résultats des recherches

Une ouverture aux parents s’est concrétisée à l’occasion d’événements scientifiques organisés par l’association : à plusieurs reprises ils ont été invités à  intervenir aux côtés des scientifiques et des praticiens dans les ateliers de travail ou les symposiums. Les parents de ART 21 n’ont pas manqué à l’appel. Le dernier congrès en date (août 2006) sur la Participation, pour une inclusion des personnes en situation de handicap, qui s’est déroulé à la HEP Lausanne (12) les a vus bien présents pour réfléchir à des questions fondamentales : quel intérêt les familles portent-elles à la recherche (son développement, sa diffusion) ; désirent-elles y participer et sous quelle forme ?

Conclusion

Durant ces dernières décennies, les parents ont acquis des savoirs et des compétences accrus. Leur place aux côtés des professionnels se justifie dès lors grandement. De nouvelles formes d’engagement social se dessinent pour les uns comme pour les autres, à travers une pratique de partenariat croissante. Pour cela, il appartient aux professionnels de faire preuve d’ouverture pour inviter les parents à s’associer à eux, qu’il s’agisse de formation des professionnels, de création de projets ou encore de programmes de recherche. La participation des parents aux champs d’activités des professionnels est chose possible : dans cet article nous avons voulu le démontrer. Les bénéfices en sont certains ainsi qu’en attestent les témoignages récoltés. En matière de formation, nombreux sont les professionnels à avoir fait part du changement de regard porté sur les parents et la collaboration suite à leur intervention dans les cours. L’avenir demande cependant à consentir des efforts supplémentaires pour poursuivre le chemin : le partenariat n’est pas encore gagné, il est sans cesse à retravailler. La responsabilité en échoit aux uns comme aux autres : chacun est appelé à tout mettre en oeuvre pour créer des espaces de partage, de négociation, de coconstruction. Les parents d’ART 21 l’ont bien compris. Nous les en remercions !


2 Selon le Pr. Jean-Marie Bouchard, « Le partenariat implique, en plus de l’association (des acteurs), la reconnaissance de leurs expertises et de leurs ressources réciproques dans un rapport visant l’égalité en vue de partager la prise de décision par consensus » (dans Viviane Guerdan, Jean-Marie Bouchard et Michel Mercier (eds), (2001), Partenariat chercheurs, praticiens, familles. De la recherche d’un partenariat à un partenariat de recherche. Outremont (Québec), Les Editions Logiques (p. 78).

3 Formation menant à l’obtention d’un Master of Arts en enseignement spécialisé ou d’un Diplôme d’enseignement spécialisé (formation, jusqu’à présent, en cours d’emploi, de 120 crédits ECTS). Un des modules du plan d’études, est consacré à la « Collaboration entre acteurs », et comprend un cours suivi d’un séminaire sur le partenariat entre professionnels et familles : « Familles et professionnels : ressources et actions communes » (donné par le Pr Jean-Marie Bouchard) et « Partenariat Ecole-Familles : rôle de l’enseignant » (donné par Viviane Guerdan).

4 Un cours a été monté en partenariat avec ASA-Handicap mental : « Donnons-nous la parole – Rencontre entre professionnels, parents et jeunes en situation de handicap », sous la responsabilité de Viviane Guerdan, dans le but de renforcer le dialogue entre acteurs à partir d’analyses de pratiques et de réflexion partagée.

5 Zay, D. (1994). Perspectives ouvertes aux IUFM par les formations en et au partenariat. Dans Danielle Zay (Ed), La formation des enseignants au partenariat. Une réponse à la demande sociale? Paris : PUF.

6 ASA-Handicap Mental (Association d’aide aux personnes ayant un handicap mental) « a pour but la promotion de l’éducation, de l’enseignement, de la formation, la valorisation du rôle social et une qualité de vie optimale pour des personnes avec un handicap mental et des personnes ayant des difficultés d’apprentissage » (art. 2 des Statuts).

7 Pour plus de détails se référer au site www.asa-handicap.mental.ch

8 « Le cadre, la liberté, l’autonomie » (novembre 2007). Pour une présentation et un compte-rendu de cette journée d’études, se référer à Pages Romandes, no 1/2008 (p.19)

9 « Donnons-nous la parole ! » (avril 2009). Pour une présentation et un compte-rendu de cette demie journée d’études, se référer à Pages Romandes, no 3/2009 (p.22)

10 « Oser le risque ! », « Parole, moteur de liberté », « Poids et partage des responsabilités ».

11 Voir site www.airhm.org

12 Les Actes de ce congrès ont paru en 2009 chez Peter Lang, Bern sous le titre de « Participation et responsabilités sociales. Un nouveau paradigme pour l’inclusion des personnes avec une déficience intellectuelle », sous la direction de Viviane Guerdan, Geneviève Petitpierre, Jean-Paul Moulin & Marie-Claire Haelewyck.

 

 


Début de la marge


Début du pied de page