Publié le 8 janvier 2017
Comme nous, ils vivent leur vie
1er Décembre 2000 – 24 Heures – Francine Brunschwig
Pro infirmis s’affiche branché et provoc.
Dès la mi-décembre, leur regard, leur infirmité en grand format interpelleront les préjugés sur les murs de nos villes. Rencontre avec un des six modèles atteints dans leur corps.
A deux ans et demi, Gérald Métroz a passé sous un train à Sembrancher. Ses deux jambes ont été broyées. Depuis, il vit en chaise roulante, affrontant son handicap avec courage…
Stop! Effacez ce que vous venez de lire, on recommence. Patron d’un bureau de consulting sportif à Martigny, Gérald Métroz, 38 ans, est spécialisé dans le transfert de joueurs de hockey. Dans le monde du sport, cet ancien journaliste, qui lit tous les jours la NZZ, s’est fait un nom. Comme homme d’affaires mais aussi comme sportif. En 1996, il a participé aux JO d’Atlanta, dans les compétitions de tennis. Dans son bureau où il nous a reçus, le téléphone n’arrête pas de sonner. La chaise roulante dans laquelle se déplace Gérald Métroz ne l’empêche en rien de mener avec succès sa carrière professionnelle.
“Le pire? Se sentir infériorisé”
“Il faut casser l’image du pauvre handicapé, un individu en situation d’infériorité qui essaie de s’intégrer. Le pire, c’est précisément de se sentir infériorisé”, explique Gérald Métroz, l’une des six personnes qui a accepté de s’afficher en grand, sans camoufler sa différence, sur les murs de nos villes pour nous dire: “Oui, nous avons un handicap mais comme vous, nous vivons notre vie.”
Ce message se trouve au cœur de la campagne de sensibilisation lancée hier par Pro Infirmis. Une première dans son genre – et dans l’air du temps (lire encadré) – pour rompre avec la condescendance et la remplacer par de la considération. “Nous n’avons pas cherché à choquer mais à surprendre. Les photos doivent amener le public à songer à la situation de ces femmes et de ces hommes qui, même s’ils présentent une différence, n’en aspirent pas moins à mener une vie autonome et à prendre leur place dans la société”, commente Raphaël de Riedmatten, porte-parole romand de Pro Infirmis.
Pour Gérald Métroz, ces images “percutantes et un peu provoc” ne font que renvoyer ceux qui les regardent à eux-mêmes, à leur capacité, ou non, d’être à l’aise avec la différence. “Parler de l’intégration d’un handicapé, c’est comme évoquer celle d’un étranger, d’un Noir, d’un dépressif. Que voit-on chez l’autre qui nous touche ou nous interpelle?” réfléchit à haute voix Gérald Métroz qui n’a pas eu de peine à répondre favorablement à la demande de Pro Infirmis. “J’ai eu le privilège d’être très entouré par ma famille et par mes amis. Parce que j’ai eu la chance de m’en sortir relativement bien physiquement, socialement, psychologiquement et économiquement, je trouve normal de participer à cette campagne susceptible d’aider ceux qui en auraient besoin. Par ailleurs, cela ne me dérange pas de voir ma tronche sur des affiches!”
Du courage
Raphaël de Riedmatten reconnaît que certains handicapés contactés n’ont pas souhaité se faire photographier. “Ce n’est évident pour personne de s’exposer en grand format. Encore moins si l’on est handicapé. Il a fallu un certain courage à ceux qui ont accepté de le faire, un certain niveau de confiance que tous n’ont pas. Chacun n’est pas à même d’assumer cette confrontation.” Oser son corps dans la différence mais surtout induire un regard capable de l’accepter, sans complaisance, sans pitié, sans préjugé, tel est l’objectif de la campagne de Pro Infirmis.
“Que le premier regard sur nous soit d’abord fait de curiosité et de surprise, quoi de plus naturel”, témoigne Gérald Métroz. “Personnellement, cela ne me dérange pas si l’on me pose des questions, au contraire. Les enfants le font d’ailleurs spontanément. Une fois que l’on sait ce qui est arrivé, c’est plus facile de comprendre et de se sentir à l’aise.” Bien dans sa peau, Gérald Métroz affirme vivre tout à fait normalement. S’il reste des progrès à accomplir – supprimer les barrières architecturales demeure une priorité – Gérald Métroz estime que le regard de la société a tout de même bien évolué. “Quand j’étais petit, les gens me donnaient de l’argent dans la rue!
Ecoutons-les!
Commentaire par Francine Brunschwig
Les images plus fortes que les mots. Rien de nouveau. Pourtant si. Les campagnes de sensibilisation par le biais de photos qui frappent, voire qui provoquent, se multiplient. Certes Olivero Toscani, le célèbre metteur en images de Benetton, nous a depuis longtemps habitués à sa caméra provocatrice. Un père tenant dans ses bras son fils en train de mourir du sida, des cadavres victimes d’une guerre en Afrique entassés dans un camion, une flaque de sang pour dénoncer la mafia napolitaine.
Mais c’était au service d’une entreprise commerciale et c’est sans doute cela, d’abord, qui a choqué. L’Office fédéral de la santé publique, avec certaines de ses campagnes de prévention du sida, a aussi ouvert la voie d’un style pour le moins direct. Mais sans montrer les victimes de la maladie.
Avec les portraits choisis par Pro Infirmis pour interpeller nos attitudes face aux handicapés, on assiste à une démarche nouvelle. On montre les visages et les corps. Une première en Suisse. Dans la forme d’abord. On choisit une agence de pub, l’approche d’un photographe de mode (renommé), son regard esthétique et sa patte glamour, non pas dans un but commercial, mais pour une bonne cause. Sur le fond ensuite. La démarche brise plusieurs tabous. Que toute réalité n’est pas bonne à montrer, qu’un gros plan sur une infirmité relève du voyeurisme, qu’handicapés et malades méritent d’abord compassion et discrétion. Eh bien non, disent Gérard, Erwin, Christina, Esther et les autres. Regardez-nous, disent-ils avec un zeste de provocation, et considérez-nous comme vos semblables! Malgré nos handicaps. Cela nous aidera à mieux vivre. S’ils l’affirment, et alors même qu’ils nous mettent peut-être mal à l’aise, ne devrions-nous pas simplement conclure: écoutons-les!
L’appel d’Adolf Ogi
A l’occasion de la Journée internationale des handicapés, ce dimanche 3 décembre, le président de la Confédération, Adolf Ogi, a appelé à détruire les murs invisibles qui excluent les personnes handicapées du monde du travail. Une situation d’autant plus douloureuse dans une société où le travail représente aussi une quête d’identité, affirme le responsable politique, qui demande aux entreprises de faire preuve dans ce domaine de courage et de créativité.
Les photos de la campagne de pub ne sont plus en ligne